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Henri Hude

Pensées sur la liberté. Indépendance, puissance et création

9 Juin 2019 , Rédigé par HH

 

La première notion de la liberté présente à notre esprit l’idée d’indépendance, non sous la forme d’un rêve, mais avec la garantie que fournit la détention de la force : force physique et force morale – celle d’une volonté résolue à résister à outrance, plutôt que de perdre son libre pouvoir d’action avec son juste degré d’indépendance. La raison, non le caprice, doit fixer ce juste degré. 

 

 

Pour qu’indépendance il y ait, il faut aussi pouvoir être cause de certains de nos actes. Quel sens y aurait-il pour nous à prétendre exercer de manière indépendante une causalité dont nous serions dépourvus ? La liberté d’aller et de venir ne se conçoit pas sans pouvoir de locomotion. On peut décréter qu’un aveugle a la liberté de lire, il n’en pourra user que s’il retrouve la vue, ou apprend le braille. La liberté de penser est une belle chose, mais surtout pour ceux qui font l’effort de penser, accroissant méthodiquement, par l’étude et l’exercice, leur pouvoir de penser. 

La liberté n’est donc pas qu’indépendance. L’indépendance présuppose un sujet susceptible d’indépendance, c’est-à-dire un être doté de puissance et de causalité. La liberté de parole suppose la parole. L’indépendance d’une impuissance, ou la liberté d’une non-puissance, voire d’un non-être, ne serait qu’un mot vide, flatus vocis

En outre, la causalité d’une puissance se manifeste par ses effets. Elle est une sorte de fécondité. La liberté est donc créative et entreprenante, par définition – ou alors elle ne s’exerce pas. 

Le terme de liberté commence ainsi à offrir à l’esprit une conception positive : la liberté est celle d’un sujet, de son être et son activité créative, qu’il peut déployer sans être gêné par l’action d’autres sujets ou de réalités extérieures. Bien entendu, puisque l’homme vit en communauté, les libertés vont toujours se limiter mutuellement, jusqu’à un certain point. L’injustice et la violence rendront souvent cette limitation pénible ou révoltante. 

Cette limitation n’est pourtant pas en elle-même quelque chose de négatif. D’abord, quand un ami, un être aimé, sont en face de nous, ils nous bouchent la vue de ce qui se trouve derrière. Ils nous prennent du temps. Leur présence détermine, conditionne et, en ce sens, limite notre vie. Avons-nous lieu de nous en plaindre ? 

Ensuite, l’individu seul est presque impuissant. Pour pouvoir quelque chose, il faut être à plusieurs et organisés, c’est-à-dire en communauté. Refuser la communauté, et même l'institution, au nom de la liberté, c’est refuser d’être un pouvoir afin d’être indépendant. Nous voyons à quel point cela est absurde. Si je veux être libre (mais non impuissant), je veux du même coup une communauté, un projet commun, des lois, une autorité et j’accepte la discipline. 

Avec cela je veux que la loi soit juste et que soit respectée ma liberté de penser. Mais comment la respecte-t-on ? D'abord en aidant l’individu à accroître son pouvoir de penser et sa maîtrise sur lui-même. 

Dans l’ordre de l’éducation, respecter la liberté de penser d’un adolescent, c’est l’aider à exercer son esprit, à le meubler, à l’affiner, en l’aidant à se soustraire à la facilité, à la paresse et à la superficialité, en l’aidant à se mettre au travail et à devenir sérieux, bref, comme disait vigoureusement Rousseau, en le « forçant à être libre». Belle libération, qu’une démagogie qui nous enfoncerait dans l’impuissance, faute de docilité, d’effort et de travail ! La démission de l’autorité est un attentat contre la liberté de la jeunesse.  

Extrait de l'Éthique des décideurs, 2ème édition, Economica, 2013, Dossier n°4, Section 5. 

Dernier ouvrage paru : Ce monde qui nous rend fous. Réflexion philosophique sur la santé mentale, Mame, 2019. 

 

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